Quand la réduflation* atteint le marché de l’emploi
La pénurie de main-d’œuvre est un sujet brûlant d’actualité qui a pris de l’ampleur ces dernières années, mettant une pression à la hausse sur les salaires et provoquant des ajustements inattendus sur le marché de l’emploi. Bien que cette pénurie fût annoncée depuis une bonne dizaine d’années, elle s’est récemment amplifiée, notamment à la suite de la crise sanitaire. Cependant, ce que l’on pouvait moins anticiper, c’est comment elle a fini par influencer les seuils de compétences à l’embauche. La réduflation ne s’applique plus seulement aux tailles de contenants et aux formats de produits alimentaires dans les allées d’épiceries, mais désormais aussi au marché de l’emploi.
La réduflation des compétences
La réduflation des compétences se manifeste quand une organisation, soucieuse de finalement pourvoir un poste, mais aussi de ne pas rehausser le salaire offert à l’embauche, décide de réduire ses critères en matière de compétences et d’expérience pour embaucher, au salaire initialement prévu, une personne dont les compétences sont inférieures aux besoins du poste.
Ce réflexe peut être fort à propos, car malgré quelques années de pénurie prépandémique, les nombreuses exigences requises pour les emplois cadres pouvaient parfois être dignes d’une longue liste d’épicerie. Épurer cette liste, et s’en tenir à quelques critères essentiels peut relever d’un choix judicieux.
Dans des circonstances normales, les postes cadres exigeraient des années d’expérience et un ensemble spécifique de compétences (savoir, savoir-faire et savoir-être). Certaines entreprises ont choisi d’embaucher des candidats qui ne maîtrisent pas complètement ces aspects. Cela peut être perçu comme une solution à court terme pour pourvoir les postes vacants et faire face à des impératifs économiques, mais cela peut également entraîner des défis importants à moyen terme.
Conséquences
Notre expérience récente nous démontre plusieurs conséquences fâcheuses de la réduflation des compétences. Nous sommes à même de constater les nombreuses insatisfactions des employés au sein des équipes de ces cadres ainsi embauchés, de même que des pertes de productivité et des écueils importants en termes de santé mentale, de mobilisation, de cohésion et de rétention. Le succès de projets, la productivité, la qualité et la rentabilité peuvent aussi écoper. Il va sans dire que ces gestionnaires peuvent aussi voir leur propre santé mentale être affectée par le stress, le sentiment d’imposture ou d’incompétence.
Piste de solutions
Pour plusieurs organisations, le choix de l’investissement accru dans la formation et le développement professionnel s’est rapidement imposé. Les entreprises se sont tournées aussi vers l’embauche de coachs et de mentors, ce qui explique en partie le développement rapide de ces professions. L’offre de programmes de formation pour favoriser le développement des compétences manquantes est aussi en grande évolution, notamment l’autoformation en ligne.
Cette approche peut être bénéfique à la fois pour les entreprises et les employés, car elle permet de combler certaines lacunes en matière de compétences tout en répondant aux besoins immédiats. Pour des individus ayant de grandes capacités d’apprentissage et d’adaptation, il peut s’agir d’un développement accéléré qui s’effectue de façon assez harmonieuse.
Investir dans la formation et le développement professionnel n’est cependant pas une solution miracle à la réduflation. Des lacunes de compétences touchant les connaissances peuvent être aisément comblées par de judicieuses formations, mais les compétences de gestion, le savoir-faire et le savoir-être se développent parfois mal en accéléré. Il faut parfois donner du temps au temps…
Conclusion
La pénurie de main-d’œuvre a provoqué des perturbations inattendues sur le marché de l’emploi, y compris l’abaissement des seuils de compétences à l’embauche pour les postes cadres. Bien que cela puisse sembler une réponse pragmatique à un problème pressant, il est essentiel de se demander si cette réduflation des compétences est viable à moyen terme. Continuer à monitorer ces effets indésirables s’impose. Mener une analyse de coûts comparative entre une offre salariale rehaussée pour attirer des cadres compétents et les coûts indirects et parfois cachés de la réduflation des compétences nous semble essentiel.
Guillaume Desnoyers, M.Sc. CRHA ASSOCIÉ PRINCIPAL
DESNOYERS RECHERCHE DE CADRES
*Mot créé de la conjonction de « réduction » et d’« inflation » et qui consiste à réduire la taille d’un contenant ou d’un bien emballé au lieu d’en augmenter le prix. Le prix réel au kilo ou à l’unité est ainsi augmenté sans que le contenant le soit.